Le 10 avril 2019

Sollicitée pour la première fois par la Cour de Cassation dans le cadre du Protocole n°16 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entré en vigueur le 1er août 2018, la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu ce 10 avril 2019 un avis consultatif sur la filiation d’une « mère d’intention » à l’égard de ses jumelles, dans le cadre d’une gestation pour le compte d’autrui réalisée aux États-Unis il y a 18 ans.

La Cour de cassation, par un arrêt du 5 octobre 2018, avait alors adressé à la CEDH une demande d’avis consultatif sur les questions suivantes :

1) En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa «mère légale» la «mère d’intention», alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention», père biologique de l’enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?

2) Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ?

La Cour de cassation avait sursis à statuer jusqu’à l’avis de la CEDH. La Cour de cassation doit maintenant se réunir à nouveau pour prendre en compte l’avis de la CEDH et statuer.

Rappelons qu’en la matière, la CEDH avait déjà condamné[1]la France cinq fois afin qu’elle reconnaissance la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger pour le père  biologique, sans toutefois se prononcer très clairement sur la filiation du conjoint parent d’intention, que celui-ci soit sa compagne (qui donne ou non son propre ovocyte) dans le cas d’un couple de sexe opposé,  ou son compagnon dans le cas d’un couple de même sexe.

Dans son avis[2]publié ce jour, les juges de la Grande Chambre de la CEDH affirment à l’unanimité que :

  1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale » ;
  1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.

En d’autres termes, la CEDH impose à la France de reconnaître la filiation de la mère d’intention en laissant la France libre d’utiliser une voie qui garantit l’effectivité et la rapidité de cette reconnaissance, sans entamer l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette reconnaissance peut ou non prendre la forme d’une transcription des actes de naissance des enfants nés à l’étranger (voie que nous privilégions), ou encore une autre voie comme l’adoption dès lors qu’elle soit relativement rapide, ce qui n’est pas le cas actuellement. Notons que la voie de l'adoption ne pourrait pas s'appliquer pour les femmes célibataires ou les couples de femmes qui recourent à la GPA.

L’Association Des Familles Homoparentales (ADFH) rappelle que la reconnaissance de la filiation des enfants nés par GPA est un engagement de campagne d’Emmanuel Macron. L’ADFH appelle le gouvernement à légiférer afin que les enfants nés par le recours à la gestation pour le compte d’autrui ne soient plus stigmatisés par la France, et que leur état civil français reflète celui qu’ils détiennent déjà dans leurs pays de naissance tout en leur permettant de disposer d'un accès à leurs origines. Notre République ne saurait discriminer un enfant, c’est à dire lui accorder plus ou moins de droits et de protections, au seul regard de son mode de conception.

[1]https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/01/19/enfants-nes-par-gpa-a-l-etranger-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-condamne-a-nouveau-la-france_5065339_3224.html

[2]https://hudoc.echr.coe.int/fre#{"itemid":["003-6380431-8364345"]}